1er mai 1947

Extrait de L’Amérique au jour le jour par Simone de Beauvoir. Publié pour la première fois dans Les Temps Modernes(N°31, Avril 1948).

Texte proposé par Agnès Poirier

Bien entendu LA femme américaine est un mythe. On assimile volontiers la femme américaine à la mante religieuse qui dévore son mâle. En gros, la comparaison est juste, mais il faut la comprendre. D’abord, les toilettes m’ont étonnée par leur caractère violemment féminin, presque sexuel ; dans les journaux féminins j’ai lu de longs articles sur l’art de la pêche, de la chasse au mari. Un soir j’ai été invitée à dîner par VD et une amie à elle : pour la première fois de ma vie un repas entre femmes m’a paru un repas « sans hommes ». Que les Américaines ne soient pas vraiment sur un tranquille pied d’égalité avec les hommes, leur attitude de revendications et de défi en est la preuve. Elles méprisent, souvent à bon droit, la servilité des Françaises toujours prêtes à sourire à leurs mâles et à supporter leurs humeurs ; mais la tension avec laquelle elle se crispent sur leur piédestal dissimule une faiblesse aussi grande. …/…

Il résulte de là que les rapports entre les deux sexes se situent sur le plan d’une véritable lutte. Un des faits qui m’a été tout de suite sensible en Amérique, c’est que, hommes et femmes ne s’aiment pas. Pas d’amitié entre hommes et femmes. Méfiance réciproque, manque de générosité concertée. Elles acceptent l’étourdissement de l’alcool mais se méfient des pièges insidieux de la sensualité. Les hommes s’enferment dans leurs clubs, les femmes se réfugient dans les leurs, et leurs rapports sont faits de menues vexations, de menues disputes et de menus triomphes. Cette fondamentale inimitié ajoute encore à la grande solitude des gens d’ici. On ne voit pas d’amoureux dans les rues, dans les allées de Central Park, pas de couples enlacés, pas de lèvres jointes. D’ailleurs on parle de l’amour avec des mots spécialisés, presque hygiéniques. Il y a une acceptation rationnelle de la sensualité qui est une manière sournoise de la refuser.


These boots are made for walking

These boots are made for walking

Étreignez-vous !

Par Agnès C. Poirier

Depuis ce matin, les Anglais peuvent à nouveau s’étreindre en toute légalité. Jusqu’à hier minuit, tout embrasseur était en effet hors-la-loi. Les pauvres Gallois, eux, devront encore attendre avant de se serrer dans les bras, recrudescence du variant indien oblige. 

Peu tactile, les Anglais n’ont tout d’abord guère souffert de ne plus pouvoir s’enlacer ; cela leur arrive si peu en temps normal, comparé à nous autres « Continentaux », nous autres « Latins » habitués à faire la bise à tout va, aux proches comme aux inconnus. Et puis, quelque chose s’est brisé dans l’inconscient collectif britannique, les sondages ont fini par montrer que le toucher, ce sens sous-développé Outre-Manche, leur manquait, finalement, terriblement. Ils osaient enfin l’avouer. Le plaisir de toucher l’autre et de l’être en retour, c’était un peu comme l’Europe, c’est après l’avoir perdu qu’ils ont compris à quel point ils l’aimaient, secrètement. Or contrairement à l’Europe qu’ils ne sont pas près de retrouver, ils vont pouvoir enfin se livrer au « hugging » : leur Premier Ministre Boris Johnson leur a promis, la BBC leur répète matin, midi et soir, c’est même écrit noir sur blanc sur les recommandations gouvernementales. 

Et nous, Français ? Attendons-nous le feu vert du Président ou même du Pape pour nous embrasser à nouveau ? Quand nous sentirons-nous tout à fait libre de faire la bise comme autrefois ? Peut-être quand nous aurons atteint, comme les Britanniques, 69% de vaccinés. Alors, sus aux vaccinodromes ! L’étreinte est au bout de la seringue.