Pas au courant
Par Thierry Keller
Ce sont des scènes qui me font penser au Temple du soleil, quand Tintin et le capitaine Haddock sont à la recherche du professeur Tournesol, dans un pays qui pourrait ressembler au Pérou. « No sé », répondent les habitants, les uns après les autres. « No sé ».
Sur France info cette semaine, un micro-trottoir. On interroge des jeunes pour comprendre les raisons qui les ont poussés à s’abstenir aux régionales. « Je n’étais pas au courant qu’il y avait une élection », répond une fille en rigolant. Ah bah fallait le dire ! On se prend la tête pour « décrypter les raisons de la désaffection démocratique », et voilà le résultat. « Pas au courant ».
Deux jours plus tard, un couple d’amis m’invite à dîner. « Heu… », dis-je un peu gêné. « C’est le soir de France-Portugal ». « Ah bon ? On n’était pas au courant ». Sans rire, les gars : pas au courant ?
J’envoie un lien change.org à un vieux copain pour qu’il signe la pétition de soutien à Mila. « Mila ? c’est qui ? Ah oui, la nana, là. Y’a une pétition ? » Eh oui, gars, « y’a une pétition ».
Ok, je veux bien admettre que je suis plutôt du genre surinformé, mais les élections, le foot, cette môme harcelée, c’est pas des infos de niche, merde ! Même mon chat est au courant. C’est quoi ce monde où les gens répondent « No sé » en secouant la tête avant de reprendre une activité normale ??
Par contre, le variant Delta, ça ils connaissent. J’ai même vu la vidéo d’une « influenceuse » disant que le delta c’est un triangle, que dans le triangle il y a un œil, que l’œil c’est le signe des Illuminati, et que c’est donc « pas un hasard ».
Je sais ce qui me reste à faire. Comme tout le monde : arrêter de m’informer. M’en foutre. Et si on me demande, dire moi aussi que je n’étais « pas au courant ».

Pour l’abstention sur les réseaux sociaux
Par Jérémie Peltier
Qu’est-ce qu’on peut bien venir chercher sur les réseaux sociaux pour qu’on y passe environ 1h30 par jour en France ?[1] Tout ce dont a besoin un individu pour bien vivre ? Menons l’enquête, faisons la liste de ces choses essentielles.
– La beauté ? Oui, si vous considérez qu’il y a quelque chose de profondément esthétique et qui nous transcende en regardant des selfies sur Instagram comme on regarde l’être aimé s’endormir.
– L’amitié ? Oui, si vous estimez qu’un retweet est la preuve d’une amitié inconditionnelle, le signe d’un ami qui vous viendra en aide quand vous aurez des problèmes d’argent.
– L’amour ? Oui, si vous être convaincu qu’amour et masochisme – le plaisir d’avoir mal, d’être humilié, de se faire insulter – ne font qu’un.
– La grandeur d’esprit ? Oui, si vous croyez encore au théâtre, à la sincérité et au sérieux des tweets de soutien ou d’appels à la révolte.
Moins essentielle mais tout aussi importante, il y a la célébrité. Oui, en effet. Vous pouvez la trouver sur les réseaux en tentant d’avoir un rôle de figurant dans le fameux film du fumeux « débat public ».
Mais à quoi tout cela peut-il bien servir si vous êtes totalement mort après moult insultes ? Si vous n’arrivez plus à dormir après un tweet mal fait ou un tweet pas fait ? Alors oui, je sais, on nous dira que les réseaux sociaux sont comme la politique : un sport de combat. C’est oublier que 8 % de la population française dit utiliser Twitter au moins une fois par jour[2]. Pour la politique proche des gens, on repassera.
Mais si vous tenez vraiment à comparer Twitter avec la politique, alors très bien. Faîtes sur les réseaux ce que vous faites déjà lors des élections depuis plusieurs années maintenant : abstenez-vous, devenez paresseux. Pour une fois, on ne vous en voudra pas. C’est même la France qui vous le demande.
[1] Global Web Index, décembre 2020
[2] Destin Commun. La France en Quête : Médias, 2019
